Réunion du 22 Nonus 2715

L'Empereur avait convoqué le Conseil privé, plusieurs mois après sa dernière réunion, pour dix-huit ce Primodine 22 Nonus 2715. L'ordre du jour de celui-ci restait le même, à savoir le double mariage belondo-aldarnorin. En effet, voilà des mois que l'accord définitif du Belondor avait été donné et l'Aldarnor n'avait pas confirmé son intention de bel et bien unir les deux Couronnes syistes qui perduraient dans ce monde. Les trois grands dignitaires de l'Empire étaient présents, ainsi que son oncle le Prince d'Ecosient, le cousin de l'Empereur Nabelnine I^er, et le Prince de Veledris, son frère. Six personnes étaient présentes à cette réunion, deux de moins que la dernière fois. Mais la qualité du Conseil privé ne se déterminait pas au nombre de ses membres. Chacun étant arrivé ponctuellement – Sa Majesté y tenait – et s'étant, assis, Nabelnine II ouvrit la réunion :

- Excellences, messieurs, nous vous saluons. Comme vous vous en souvenez, nous avons pris la décisions d'accepter l'offre de Sa Majesté le Roi d'Aldarnor Vincent II, nous proposant une alliance matrimoniale entre nos deux États. Notre sœur, la princesse impériale Maria-Aurélia est donc destinée au Victorin, l'héritier du trône aldarnorin ; tandis que la sœur cadette du Roi, la princesse Pauline, âgée de 19 ans, deviendra notre épouse.

Il prit un moment avant de poursuivre, disant :

- Nonobstant, le royaume d'Aldarnor ne nous a pas donné confirmation ni n'a poursuivi ses échanges en la matière, sans pour autant nous indiquer avoir changé d'avis. De fait, J'attends votre loyal avis sur la suite à donner quant à cette affaire. Il paraît peut-être nécessaire que nous reprenions les échanges épistolaires afin de faire venir la princesse Pauline en Belondor et d'envoyer la princesse impériale Maria-Aurélia en Aldarnor, et conclure ces unions.

C fut le frère de l'Empereur qui répondit le premier. Celui-ci n'avait pas fait mystère lors de la dernière convocation du Conseil privé de ses réticences, voire même de son opposition, au projet de mariage entre sa chère sœur jumelle Maria-Aurélia. Il faut dire qu'il était extrêmement proche de celle-ci, au point que certaines personnes particulièrement mauvaises langues de la cour impériale n'hésitaient pas à affirmer que les deux jeunes gens entretenaient une relation amoureuse. Platonique, assurément. Mais une relations amoureuse néanmoins. Le prince de Veledris en avait entendu parler mais n'en tenait pas compte. Seul l'intérêt de sa sœur lui tenait à cœur, contrairement à son frère qui ne semblait s'intéresser qu'à son pouvoir et à son ambition et avec qui sa relation se refroidissait sérieusement et ses contacts s'espaçaient :

- Votre Majesté, messieurs. Visiblement, il s'agit d'un camouflet pour l'Empire et votre impériale personne, Majesté...

Le prince s'efforça de ne pas sourire. Il espérait qu'il prenne ses propos comme un affront et qu'il réagirait, en colère, montrant sa véritable personnalité. Le Belondor méritait un meilleur souverain, plus humain... et Nabelnine II n'avait rien d'humain. Il continua néanmoins :

- Je propose que Sa Majesté écrive à Sa Majesté Vincent II d'Aldarnor pour lui dire que les doubles fiançailles sont rompues face au silence assourdissant de la Couronne d'Autricum.

Le duc d’Albes venait tout juste d’arriver, il s’installa naturellement à sa place habituelle – la même donc, que la dernière fois. Armand était fatigué, il sentait l’âge le rattraper… Il salua l’empereur, qui trônait en bout de table. Le frère de l’empereur avait parlé le premier, encore et toujours pour marquer son opposition à son impérial parent. Les deux jeunes hommes semblaient être nés pour se chercher querelle.
 
Il prit la parole juste après le prince de Veledris :
 
— Il me semble légèrement prématuré de rompre ainsi les fiançailles. Les nouvelles mettent du temps à arriver depuis l’Aldarnor. De plus, j’ai cru comprendre que le roi d’Aldarnor rencontrait quelques petits problèmes… La Cour aldarnorine ne parle pas d’une seule voix, et beaucoup, comme ici en Belondor, sont opposés à ce double mariage. La Chambre des nonces essaie de tirer son épingle du jeu, et certains nonces aldarnorins parmi les plus conservateurs souhaitent engager avec le roi un bras de fer sur la question du mariage. Mais, Sa Majesté apostolique est maître en ses États, tout comme Sa Majesté très-syiste est maître en les siens.
 
Il faudrait peut-être demander à l’ambassadeur d’Aldarnor ce qu’il en est, de façon à être mieux informés…

Installé au creux de son fauteuil, l'Archichancelier et Grand Électeur de l'Empire était en proie à un terrible tourment. Effectivement, le mariage entre l'Empereur et la princesse aldarnorine trainait en longueur, mais il semblait important que ce mariage ait lieu, pour les raisons déjà évoquées au cours du dernier Conseil privé sur la question ; d'ailleurs, avec qui d'autre aurait-on pu unir Sa Majesté impériale, gardienne de la foi syiste ? 

S'il avait laissé le Grand Maître de l'Empire répondre en connaissance de cause au Prince de Veledris, le duc de Varsalance poursuivit d'achever toute idée d'annulation.

" Si Sa Majesté souhaite faire venir la princesse Pauline en Belondor et envoyer la princesse impériale Maria-Aurélia en Aldarnor aux fins de conclure ces unions, nous ne pouvons que prendre acte de cette sage décision.

A travers l'Archipel, jamais la Couronne ne trouvera plus parfaite Impératrice. La princesse Pauline est d'une grande beauté et bien qu'élevée dans un syisme réformé, elle n'en demeure pas moins syiste... la question de sa conversion ne devrait d'ailleurs être qu'une simple formalité. "

Après avoir obtenu l'avis de trois grands dignitaires, Sa Majesté vit que les opinions des uns et des autres n'avaient pas évoluées depuis ces derniers mois, et il n'était guère étonnant que son frère cherche à le provoquer en prétendant que le roi d'Aldarnor lui avait infligé un camouflet alors que les services secrets en poste en ce royaume lui signifiait simplement que, jusqu'au sein de la famille royale, certains freinaient des quatre fers pour cette double union qui n'avait pas obtenue leur assentiment. En effet, nombre d'Aldarnorins continuaient visiblement de voir dans les Temararien des usurpateurs qu'il fallait chasser pour le plus grand profit des Bordebon. Mais l'Empereur préféra ne pas répondre à cette pique d'Amezzianel et répondre :

- Il n'a jamais été dans notre intention de rompre nos fiançailles avec la princesse Pauline, pas plus que nous n'avons imaginé rompre celles entre notre sœur et le victorin.

Que les choses soient dites, l'Empereur ne renoncerait pas à ce mariage :

- Nous allons convoquer l'ambassadeur d'Aldarnor pour savoir ce qu'il en est. Nous sommes certains que les difficultés que connaît actuellement le roi seront réglées sous peu et que cette union pourra être concrétisée. Qui sait si elle ne sera le prélude à la réunification religieuse ?

Se tournant vers l'Archichancelier, il dit :

- En tant qu'autorité de tutelle sur les ministères des Affaires administratives et de la Police générale, pouvez-vous me dire quel est l'état de l'opinion publique quant à cette double union des couronnes d'Autricum et de Temararien ?

Le duc de Varsalance, qui s'était enfoncé dans son fauteuil après avoir pris la parole, semblait écouter de loin en loin la réponse attendue de l'Empereur. Bien sûr qu'il ne serait pas question de rogner sur une éventuelle alliance matrimoniale entre les deux couronnes syistes de l'Archipel ; d'ailleurs, l'intervention du Prince de Veledris relevait plus de la querelle familiale que de l'intérêt national, elle n'avait donc pas lieu d'être.

L'interpellation par l'Empereur de l'Archichancelier de l'Empire, donna quelques couleurs à ses joues, devenues aussi blanches que le marbre de la pièce après qu'il se soit adossé dans son siège. Comme pour se donner l'air de la réflexion, Etzel Calpunien se frotta énergiquement ses favoris de plus en plus poivre et sel.

" Majesté, de façon générale, l'opinion publique s'intéresse de loin à la question de l'union des deux couronnes  ; les sécheresses des derniers mois occupent plus les belondaures dont les récoltes sont mauvaises. Les campagnes craignent qu'une entente commerciale renforcée entre l'Aldarnor et le Belondor entraînent une baisse des prix des matières premières, ce qui les priverait du moindre bénéfice. "

Bien que la question n'intéressait pas directement les deux mariages, l'Archichancelier avait cru bon soulever cette problématique.

" Pour autant, parmi les milieux bourgeois et les élites belondaures, une grande majorité soutient cette initiative qui agira dans l'intérêt de la Très Sainte Eglise et dans le renforcement et le rayonnement de la Couronne de Belondor à travers l'Archipel. 
D'aucuns craignaient une union hâtive mais le temps apaise les peurs de la cour qui attend désormais avec une grande impatience votre impérial mariage. "

Sa Majesté avait entendu ce qu'elle souhaitait entendre. Jusqu'à présent, il n'était point question qu'un accord commercial approfondi avec l'Aldarnor et les droits de douanes à l'importation restaient élevés, y compris pour les plus proches alliés du Belondor. Le rapprochement avec l'Aldarnor avait débuté sous son père et il entendait poursuivre cette œuvre, pas à pas, tranquillement. Concrètement, cette double union maritale sciait la branche sur laquelle étaient assis les soutiens des Bordebon, ce depuis des décennies, en Aldarnor. Leur dernier soutien s'en allait et acceptait progressivement la situation en Belondor, c'est-à-dire l'instauration du Second Empire et son enracinement définitif en tant que le régime naturel du Belondor. L'Empereur ne fit pas part de ces pensées à ses interlocuteurs. Il continua en s'adressant à tous à voix basse :

- Nous ne parlons ici, bien entendu, que d'une union maritale. Nous sommes heureux de voir que nos sujets soutiennent cette double union entre les couronnes de Temararien et d'Autricum, lesquelles seront profitables aussi bien à l'Empire qu'à l'Église. Il nous faut néanmoins prêter une attention toute particulière aux rumeurs parfois malveillantes qui nous prêtent des attentions que nous n'avons pas...

Ce dernier propos en direction de celui qui avait la haute main sur l'administration déconcentrée, la police et la justice signifiait clairement qu'il apparaissait nécessaire au souverain de surveiller les potentiels opposants et ceux qui diffusaient des rumeurs desservant ses intérêts à tel point que ces rumeurs atteignaient les hautes sphère de la noblesse; Toujours tourné vers l'Archichancelier et Grand Électeur, l'Empereur poursuivit en disant :

- Nous espérons que notre peuple à la même opinion de notre personne et de notre gouvernement...

Subtilement, sans en avoir l'air, l'Empereur venait de questionner le duc de Varsalance sur la popularité de sa personne et de la politique menée, attendant une réponse.

La remarque de l'Empereur jeta un froid au sein du Conseil. Depuis son accession au trône, Nabelnine II était craint plus qu'aimé par le peuple ; si l'on voyait en lui un véritable monarque, on l'accusait d'être homosexuel et de ne plus assez agir, cédant aux Grands Dignitaires l'exécution du pouvoir. Pour autant, les ragots étaient rapidement tus, chacun craignant d'être dénoncé aux policiers.

Le visage voilé, Son Excellence Calpunien prit le temps de répondre, d'une voix presque éteinte tant la question l'ennuyait.

" Majesté, soyez sans crainte, le peuple vous aime et sait que vous agirez toujours dans l'intérêt de la Nation. Il vous a toujours soutenu et votre politique libérale et sociale le satisfait pleinement.
Quant à votre gouvernement, il espère voir émerger prochainement de nouvelles figures. "

Sa position d'Archichancelier et de Grand Électeur de l'Empire, la conjugaison surprenant de Charles Marksane comme Connétable et Architrésorier de l'Empire et la charge pensante de Grand Maître dévolue à Son Excellence de La Croix, que l'on voyait de moins en moins, posaient problème.
C'étaient des espoirs de sang neuf, de visages nouveaux qui permettraient un regain de vitalité au sommet de l'État.
Par ailleurs, depuis que le sénateur Verrines d'Hersant avait appelé à la démission du ministre aux Affaires sociales, une sorte de défiance semblait poindre à l'égard de ce vaste gouvernement.

L'Empereur avait cru percevoir un certain manque de franchise de la part du duc Etzel Calpunien de Varsalance dans sa réponse quant à sa propre popularité et à celle de la politique menée. Il est vrai que certains lui faisaient le reproche de n'avoir pas continué les progrès sociaux incontestables accomplis sous son père. Nonobstant, il s'abstint de faire ne serait-ce qu'une remarque signifiant à l'Archichancelier et Grand Electeur de l'Empire qu'il doutait quelque peu de la sincérité de la réponse apportée par celui-ci. Se détournant de lui, il dit :

- Excellences, messieurs, quelqu'un a-t-il quelque chose de supplémentaire à dire ?

Le grand-maître de l’Empire ne savait trop comment aborder le sujet. Il servait la famille impériale depuis qu’il était rentré en Belondor. Il avait vu grandir l’idée impériale en aidant le père de l’empereur à apporter au peuple belondaure la paix tant désirée. Aujourd’hui il servait le fils, mais rien n’était plus comme avant. Armand était fatigué, ou plutôt vieux, tout simplement. Il ne se voyait pas garder sa haute charge plus longtemps.

Il prit la parole, la voix chevrotante :

— Sire, je souhaitais ajouter quelque chose. J’ai servi feu votre père avec la légendaire fidélité de ma famille. Mes ancêtres avaient mis cette fidélité au service de leurs rois, moi j’avais décidé de la mettre au service de mon empereur. Je suis fier d’avoir pu participer à cette grande œuvre que feu votre père avait débuté, je suis aujourd’hui heureux de voir que vous la poursuivez.

A cet instant, les personnes présentes dans la salle comprirent ce que le grand-maître de l’Empire était en train de faire.

— Vous avez su, Majesté, vous imposer comme un monarque de qualité, avec sa voix propre. Ce n’est pas chose si aisée lorsque l’on a un père qui a marqué les esprits de ses sujets et dont la mémoire aujourd’hui encore reste gravée dans le cœur de chacun.

Je suis vieux sire, et je demande humblement à Sa Majesté très-syiste de bien vouloir me laisser prendre ma retraite. Je lui rends ce jour ma charge de grand-maître de l’Empire, afin qu’un gentilhomme daigne bien la reprendre pour continuer à servir l’Empire.

Le Duc de Varsalance ne pouvait que difficilement masquer sa gêne. Il côtoyait quasi-quotidiennement le Comte de Salignac depuis près d'une décennie ; Armand de La Croix avait été nommé à la charge de Grand Électeur de l'Empire en 2706, tandis qu'Etzel Calpunien était Archichancelier de l'Empire depuis 2704. Malgré des divergences politiques, les deux hommes avaient toujours travaillé avec concorde afin que prime l'intérêt de la Nation.

S'il savait la décision du Duc d'Albes mûrement réfléchie et l'occasion attendue depuis un certain temps, Etzel ne pouvait s'empêcher de faire le lien entre l'intervention du grand dignitaire et sa suggestion de nouvelles nominations à la tête de l'exécutif.
En conséquence, il s'était renfrogné dans son fauteuil, les bras ballants sur les accoudoirs, attendant la réponse de l'Empereur.

Voyant que Sa Majesté impériale semblait ne pas vouloir répondre, sûrement gênée par cette annonce soudaine, l'Archichancelier demanda la parole.

" Majesté, Votre Excellence de La Croix. Je sais le poids écrasant de la charge que vous avez toujours occupé avec fidélité et abnégation ; votre travail mérite les éloges et je sais qu'ils vous seront dus en temps voulus.

Toutefois, avec le mariage prochain de Sa Majesté et de la princesse Pauline, je crains que votre départ immédiat ne place la Grande Maîtrise de l'Empire dans une situation délicate. Il existe sûrement des personnes à même de prendre votre suite et je suis persuadé que Sa Majesté dispose déjà de candidats.
Quel plus beau départ que celui faisant suite à l'union impériale ? Votre retraite n'en sera que plus méritée et vous n'aurez pas à supporter le moindre regret. "

Cette annonce pour le moins fortuite déstabilisa légèrement Sa Majesté pendant quelques instants. Il n'était nullement question pour l'Empereur d'avoir à changer de Grand Maître. Celui-ci avait fait un travail remarquable depuis presque dix ans et il en était satisfait. Certes, il commençait effectivement à se faire vieux... mais quoi ? Le duc d'Albes n'avait pas plus de cinquante-quatre ans. Était-ce vraiment si vieux que cela ? Il fallait croire tout du moins qu'il ne pouvait plus en supporter la charge, malheureusement... Cela allait obliger obliger Nabelnine II à lui trouver un remplaçant. Il était en train de réfléchir aux éventuels substituts qu'il pourrait trouver à Armand de La Croix de Salignac lorsque l'Archichancelier et Grand Électeur de l'Empire s'exprima, émettant l'hypothèse que le grand dignitaire démissionnaire pourrait rester jusqu'au mariage de l'Empereur, afin de l'organiser. Ce serait une sorte de cadeau d'adieu du comte de Salignac à Sa Majesté impériale, en gage de sa dévotion. C'est ainsi que l'Empereur dit :

- Nous entendons votre souhait, Excellence de La Croix de Salignac de jouir des bienfaits du repos. Votre vœu sera exaucé...

Le duc d'Albes parut soulagé, mais l'Empereur poursuivit :

- … lorsque notre mariage avec la princesse Pauline d'Aldarnor aura été conclu. Nous vous chargeons de l'organisation de celui-ci. Une fois cette tâche accomplie, vous serez libérez du service à notre endroit.

Le grand-maître de l’Empire parut un peu gêné, cette pirouette n’était pas franchement prévue… Il ne pouvait dignement pas dire non à l’empereur, surtout que c’était un peu comme un cadeau d’adieux. Il avait servi toute sa vie, et il ne se voyait pas vraiment au dernier moment faire défaut aux Temararien.

— Qu’il en soit ainsi alors, je me ferai une joie d’organiser votre mariage, sire.

Le duc d'Albes ayant confirmé qu'il organiserait le mariage de l'Empereur, ce dernier le remercia d'un bref signe de la tête. Sa Majesté fit alors un signe de la main et dit, alors même qu'elle commençait à se lever :

- La réunion est levée.