D'Ismarkie en Nouvelle-Argentorate

En ce jour particulièrement ensoleillé, le colonel Hautelier n’avait pas le temps de profiter du soleil. Sa femme, pourtant avide de beau temps, non plus.
Seul le cadet, Henri, âgé de onze ans jouait dehors avec les enfants des autres officiers supérieurs d’Ismarkie. L’aîné âgé de dix-neuf ans, Armand, était parti l’année dernière en métropole pour étudier le droit et on ne l’avait plus revu depuis même si la famille recevait régulièrement des nouvelles de lui. Quant à Jeanne, âgée de seize ans, elle finissait de rangeait ses affaires dans ses valises.
La famille devait embarquer aujourd’hui pour la Nouvelle-Argentorate. Ils allaient effectuer un voyage de plusieurs jours à bord d’un petit vaisseau que l’Armée avait mis à disposition du nouveau haut-représentant belondaure. Les caisses finirent d’être embarquées en fin de matinée et après une cérémonie militaire durant laquelle le Général Piès félicitait l’officier pour les nombreuses tâches qu’il eut effectuées durant son séjour en Ismarkie.

Le voyage dura plusieurs jours et après les diverses péripéties rencontrées durant celui-ci. Les jeunes membres de la famille peu habitués aux voyages en mer avaient été malades durant le séjour.
Le colonel Hautelier quant à lui en avait profité pour réfléchir aux différentes actions qu’il allait mener. La fonction de haut-représentant de l’Empire était prestigieuse et s’il voulait atteindre les sommets, Louis devait se montrer à la hauteur. Il allait dans un premier temps industrialiser la principauté, il fallait moderniser ce territoire et faire des miséreux qui erraient dans les rues des ouvriers participants à l’industrialisation de l’Empire. Il allait donc encourager les entreprises privées à s’installer en Nouvelle-Argentorate. Pour cela, il allait falloir agrandir le port. Des travaux avaient déjà étaient entrepris à Port-Habsbourg mais à des fins militaires. La construction d’un grand port civil allait améliorer les exportations ainsi que les importations en Nouvelle-Argentorate. L’installation de nouvelles industries dans la Principauté pourrait peut-être aussi lancer le commerce avec l’allié aldarnorin situé à quelques centaines de kilomètres du territoire insulaire.
Deuxièmement, il allait moderniser les différentes infrastructures grâce à l’argent obtenu suite à l’industrialisation de la principauté. Ce territoire méritait d’être modernisé. Le haut-représentant de l’Empire ferait donc construire une première ligne de chemin de fer, le transport à la mode en Métropole d’après ce que lui avait raconté son fils Armand. Le chemin de fer avait connu un « boom » il y a quelques années et depuis la plupart des belondaures qui en avaient les moyens voyageaient en train. Depuis peu, un nouveau type de train avait fait son apparition, un train si rapide que Louis n’avait pas cru ce qu’il lisait dans les journaux. Il s’agissait du Tranterranovien, de la compagnie Edorails. Le train était capable d’allait au-dessus des deux cent kilomètres par heure !
C’était les deux seuls objectifs que le colonel se fixait à réaliser avant le début de l’hiver.

Après cette longue réflexion, la famille apercevait la principauté et Port-Habsbourg. Leur arrivée ne fut pas très remarquée. Pour les néo-argenois il ne s’agissait que d’une famille de notables belondaure qui débarquait sur l’île comme il y en avait tellement.
Les membres de la famille furent conduits dans une voiture des plus modernes dans leur résidence, une des plus belles de la capitale. La maison était bien plus grande que celle dans laquelle ils avaient vécu des années en Ismarkie.

Le haut-représentant rendrait visite demain aux différentes autorités néo-argenoises pour leur donner de rapides instructions.

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Le lendemain, alors que le nouveau haut-représentant de l'Empire n'avait pas encore fini de s'être préparé, il eut la surprise d'être devancé dans ses intentions. Le prince de Nouvelle-Argentorate Alek II avait envoyé son chapitre des Affaires extérieures, Grégoire Neuffes, baron d'Outremorches. Celui-ci lui indiqua que Son Altesse sérénissime l'invitait à petit-déjeuner en sa compagnie au palais princier et qu'il serait heureux de pouvoir lui servir de compagnie tout au long du trajet en empruntant sa voiture.

C'est ainsi que le colonel Louis Hautelier, une fois fini de se préparer (soit une dizaine de minutes plus tard), partit avec son secrétaire particulier, sa sacoche sous le bras, montant dans la voiture du chapitre néo-argenois. Ceux-ci firent alors connaissance. Grégoire Neuffes ne payait pas de mine, totalement dégarni ou presque, alors qu'il n'avait pas encore quarante-cinq ans. Issu d'une famille désargentée, il devait tout au prince de Nouvelle-Argentorate, et celui-ci le savait et s'assurait ainsi de sa fidélité. Après un trajet d'une bonne demi-heure dans les rues encombrées d'Habsbourg, ils arrivèrent à destination. Le chapitre conduisit alors le haut-représentant belondaure jusqu'au prince qui l'attendait dans un salon :

- Ah ! fit le prince en voyant arriver le haut-représentant. Votre Excellence Louis Hautelier, je présume ? Nous sommes heureux de vous accueillir en notre belle principauté. Nous espérons que vous vous y trouverez à votre aise et que vous durerez plus longtemps que le précédent... à ce rythme-là, nous allons bientôt avoir cinq haut-représentants par an, ahah !

Le prince était encore plus décati que le chapitre. Il paraissait vieillit et très corpulent. Il était mal fait, de petite taille, avec une grosse tête, un estomac projeté en avant, des cheveux éparses et rétifs à tout peigne, visiblement, et les dents gâtées. En somme, il ressemblait à un gras mandrite syiste. Rien de bien impressionnant. Celui-ci reprit :

- Suivez-moi, allons prendre un petit-déjeuner.

Sur la table de la salle à manger était disposés de nombreuses denrées exotiques, une multitude de fruits, souvent inconnus pour Hautelier, plus banalement du café, du thé, mais aussi des jus de fruits divers, du chocolat chaud, des biscottes, des confitures diverses et variées... la Nouvelle-Argentorate était certes archaïque mais disposait de richesses agricoles immenses. Une fois assis, tout en beurrant une biscotte avec de la confiture d'abricot, le prince dit :

- Eh bien, Excellence... quels sont vos intentions pour notre principauté ? Que me conseillez-vous ?

Soulagé de manger quelque chose qu'il connaissait, Louis se mit à l'aise...Quel âge pouvait bien avoir le prince? Il paraissait âgé mais semblait disposer de l'ensemble de ses facultés...

- Votre Altesse, j'ai pensé à suivre la voie de notre Métropole que je n'ai plus vue depuis déjà plusieurs années... C'est-à-dire industrialiser la principauté. Il ne faut pas passer à côté d'une telle opportunité, la Nouvelle-Argentorate ne peut rester indéfiniment une terre agricole. Certes le commerce maraicher peut rapporter mais un jour le Belondor pourra produire tout ces fruits durant l'ensemble de l'année.
Une industrialisation permettrait de développer la Nouvelle-Argentorate, d'améliorer les transports, les routes et peut-être même d'y installer un chemin de fer.
Vous pourriez aussi développer des relations commerciales plus étroites avec notre voisin et allié, l'Aldarnor. Le territoire métropolitain du royaume aldarnorin n'est situé qu'à environ cent cinquante ou deux cent kilomètres.
C'est tout ce que je vous propose pour le moment...

Il reprit du café et se décida à goûter un des fruits exotiques aux couleurs particulièrement attirantes. Il prit dans sa main un fruit rond de couleur orange.
Voyant que le haut-représentant allait croquer à pleine dents dedans, le prince après avoir esquissé un sourire lui apporta une précision :

- Excellence, il faut tout d'abord enlever la peau et ensuite vous pourrez déguster ce fruit.

Louis Hautelier mit en application les conseils de Son Altesse et put savourer le fruit au goût acide et sucré...

- Comment appelez-vous ce fruit, Votre Altesse? Peut-on l'acheter sur le marché?

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- Des oranges, Excellence. Ce sont des oranges. Particulièrement bien nommées, n'est-ce pas ?

Souriant, le prince poursuivit dit :

- Vous ne connaissez pas ? Pourtant, chaque année depuis que le traité de L'Aquilla fut signé, nous en livrons au Belondor... combien monsieur d'Outremorches ?
- Cent tonnes par an, votre Altesse, répondit le chapitre aux Affaires extérieures.

Après quelques paroles sur le climat néo-argenois particulièrement agréable, le prince revint aux questions politiques :

- Vous souhaitez donc nous rapprocher d'Aldarnor ? Je souhaite cependant vous faire part d'une erreur. Peut-être confondiez-vous avec l'île d'Argentorate, mais l'Aldarnor est éloigné de plus de 700 km. Et encore ! Si on compte à partir de l'île de Tamerlan, car il nous faut contourner Argentorate pour toucher l'Aldarnor continental... bref, peu importe. Il est vrai que nous avions quelques échanges avant le traité de L'Aquilla. Mais l'Aldarnor s'est refermé sur elle-même depuis quelques années et l'Empire a souhaité que nous orientons nos relations commerciales de manière privilégiée avec le Belondor. Cela annonce-t-il un changement en la matière de la part de l'Empereur ?

- Je ne connaissais pas ce fruit, à vrai dire je ne suis plus allé en Métropole depuis maintenant quelques années. De plus ma femme n'a jamais eu confiance en ces fruits, elle n'en achète jamais... C'est bien dommage pour nos enfants qui aiment particulièrement les aliments aux saveurs sucrées.

Il prit deux oranges et les glissa dans sa sacoche, il les donnerait ce soir à ses deux enfants, il espérait que sa femme n'en saurait rien, elle pouvait se montrer particulièrement agressive quant il s'agissait de ses enfants chéris.

- Votre Altesse, je n'ai donc pas eu la bonne carte et la bonne légende... Pour ma part je pense que nous pourrions envoyer un émissaire en Aldarnor, si le Ministre compétent nous y autorise. Je n'ai pas reçu d'instructions particulières, si vous êtes favorable à un rapprochement je contacterai monsieur le Ministre des Affaires Étrangères.
Une industrialisation de la principauté vous permettrait d'attirer en Nouvelle-Argentorate des industriels belondaures. Les Chantiers Navals Hautelier pourraient être intéressés par un atelier de construction en Mer du Sud.

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Alors que le prince buvait désormais à l'aide d'une paille dans son verre un liquide rosé, celui-ci secouait la tête pour montrer sa compréhension :

- Bien, bien, en effet, si le ministère des Affaires étrangères de l'Empire n'y voit aucun inconvénient, alors. J'ai cru comprendre que l'autorité de tutelle, le Connétable, c'est ça ? J'ai cru comprendre que le Connétable était l'ancien haut-représentant monsieur Marksane ? Je suis sûr qu'il ne montrera pas d'opposition.

Il poursuivit :

- J'y pense ! Les réformes de son excellence le Connétable nous ont coûté cher et nous coûte cher... la création de la milice néo-argenoise, des Chantiers navals des Mers du Sud... même si la réorganisation territoriale qu'il a effectué nous a permis d'effectuer des économies, cela nous coûte cher. Il faudra demander un nouveau prêt au Crédit Néo-Argenois de Commerce et d'Industrie, qui a le monopole d'émission...

- C'est en effet Monsieur Marksane qui est actuellement Connétable de l'Empire. Je lui enverrai donc une lettre.
Il va falloir trouver une solution Votre Altesse, si nous continuons de demander des prêts nous nous dirigerons vers la faillite. Je demanderai au Crédit néo-argenois un nouveau prêt et j'espère que ce sera le dernier, pour le bien de la Principauté.

Il reprit après une courte pause.

- Que pensez vous de ma proposition d'industrialisation? Nous pourrions attirer les industriels via des annonces décrivant les avantages d'une installation en Nouvelle-Argentorate...

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Se levant, le prince dit :

- Il ne nous reste plus qu'à espérer que les revenus de cette industrialisation que vous nous promettez nous permettront de rembourser les emprunts successifs... le trésor n'a que 500 millions de couronnes de revenus, soit 63 millions de sesterces à peu près me disait le chapitre des Finances voilà peu. Hors, nous sommes endettés pour le double. Une solution pourrait être d'obtenir le report des échéanciers avec des contrats d'endettement sur plusieurs années plutôt que sur un an ou deux ans.

Le général fit de même et se leva à son tour puis répondit à Son Altesse Princière.

- En étalant, comme vous venez de le dire, les remboursements sur plusieurs années, nous pourrons arriver à rembourser les différents crédits.
Je me rendrai très prochainement au Crédit néo-argenois pour leur adresser l'ensemble des requêtes.

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- Très bien. Je suis certain que nous collaborerons pour le meilleur de la principauté. Si vous voulez bien m'excuser.

Le prince s'en alla. Il était temps pour le haut-représentant de se mettre au travail.

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