Salignac fuit la campagne...

Le duc d’Albes était rentré chez lui pour la fin de semaine. Il en avait assez de la campagne, vraiment, ces situations l’avaient toujours agacé au plus haut point. Tous les partis avaient des genres des « réclameurs » – comme on les appelait maintenant – à chaque coin de rue. Le pire de tous les outrages, un espèce de petit saligaud avait gribouillé sur l’une des voitures du duc, « vive l’Unimod », s’en était trop pour l’aristocrate conservateur qu’était Armand : il avait plié bagages, direction Salignac, là au moins, on ne l’importunerait plus.

Tout le monde s’afférait au château, ayant été informés que le duc rentrerait d’ici peu… a l’arrivée de la voiture, le majordome constata le graffiti, et ne pu s’empêcher de s’en amuser, un peu trop visiblement au goût du duc, qui en sortant de la berline vit son majordome :

— Ah !!! sans commentaire… et arrêtez de vous glousser Nabelnine ! il n’y a rien de risible là dedans ! Ils vont nous tuer ces foutus modérés !
— Pardonnez-moi M. le duc, je ne voulais pas être…
— Ce n’est rien, coupa le duc, préparez mon bain, j’ai besoin de repos !

Le majordome sembla gêné…

— C’est que… et bien monseigneur, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, vous êtes attendu pour un banquet à l’hôtel de ville.
— Que me chantez-vous là ? un banquet pour quoi ?
— Pour la campagne M. le duc, comme vous êtes maire de Salignac, les notables attendent votre présence pour que vous leur donniez le fil conducteur.
— Le fil conducteur ?! saperlipopette ! Je quitte les miasmes elbêröhnitiennes en espérant le calme et voilà que je trouve la même tempête ici !
— Navré monseigneur, je peux envoyer une lettre disant que vous êtes souffrant.
— Non, ce ne sera pas nécessaire, pour baragouiner quelques inepties devant trois notaires, quelques magistrats, et les riches propriétaires terriens qui ont peur de la légende ouvrière elbêröhnitienne, je n’aurais pas besoin de beaucoup de forces. A quelle heure est-ce ?
— Dans une heure, M. le duc.
— Bien, alors je vais me préparer.

La voiture du duc approchait, et quelques notables attendaient à l’extérieur de l’hôtel de ville, sur le perron, pour accueillir le Grand Maître de l’Empire. Il y avait notamment le magistrat local, Adalbert de Gribon. La voiture du duc arriva enfin, il en descendit, accompagné de sa femme. On s’empressa de venir saluer un hôte aussi illustre, car elles se faisaient rare les occasions où le duc avait le temps de rentrer à Salignac. Arrivant devant le perron, le duc senti l’énervement lui monter : il y avait des affichettes de campagne collées de manière très dispersées sur un pan entier du bâtiment.

Voyant son adjoint, le duc s’approcha :

— N’avais-je pas pris un arrêté pour que ces pratiques barbares cessent ?! dit-il en montrant le mur surchargé des affiches. Allons, enlevez-moi ces horreurs ! Uniquement sur les panneaux municipaux, et chaque parti a une affiche par panneau ! Un mur modéré monsieur, ça se casse la gueule : je ne veux plus en voir une seule lorsque je sortirai, faites le nécessaire.

Pour une affiche des conservateurs, il y avait quinze affiches des modérés, et au moins autant des ultras. Ils étaient franchement infernaux. Le duc d’Albes entra dans le grand hall, là, une multitude de personnes vint le féliciter, et le remercier de sa présence. Le duc devisa un moment avec le gratin de la ville, se moquant des modérés et fustigeant les ultras. Ce qu’il y avait de pratique dans ce genre de réunion, c’est que l’on pouvait se permettre de tartiner les adversaires… ils n’étaient pas là ! Certes, cela enlevait de son charme au débat, mais cela avait l’avantage de détendre. Enfin, le duc entra dans la grande salle des fêtes, une immense tablée avait été dressée, il semblait que l’on attendait plus que le duc.

Adalbert de Gribon annonça le duc en montant sur une petite estrade :

— Mesdames et messieurs ! s’il vous plait ! votre attention, s’il vous plait ! Une fois que l’assistance adopta le silence, il poursuivit. Je suis très heureux de vous annoncer que Son Excellence le Grand Maître de l’Empire, notre maire, le duc d’Albes, est des nôtres ce soir ! C’est le troisième banquet de ce type auquel il assiste ici à Salignac, et nous sommes toujours enchantés de l’accueillir.

Les gens semblaient satisfaits de constater que le duc d’Albes était présents, tout le monde aimait bien Armand ici, tout simplement parce que sa famille était profondément liée au destin de la ville… Les habitants disaient toujours avec fierté que leur maire était le Grand Maître de l’Empire, « un homme fort respectable, issu d’une noble lignée », disait la bonne bourgeoisie ici. Armand monta sur la petite estrade :

— Bonsoir à tous, je suis toujours heureux de revenir chez moi, car Salignac sera toujours ma maison. Je venais ici pour me reposer – le duc ne pouvait s’empêcher de donner ce genre de détails, qui ne faisait pas toujours plaisir… –, l’atmosphère de la capitale me pesais, mais, je n’ai pas pu refuser l’invitation qui m’avait été faite de participer à ce banquet avec mes concitoyens.

On m’a dit que je devais présenter ici même le programme conservateur. Et bien je vous annonce ici même que nous n’avons pas de programme ! là, l’assistance devint septique. Rassurez-vous, nous avons-mieux : des valeurs ! J’estime, comme mes collègues au gouvernement, qu’il n’est pas opportun de parler de programme, car un programme est toujours trop, et peu à la fois. Nos valeurs seront l’occasion d’élargir notre champ d’action, de pousser plus à bout une politique cohérente et bénéfique pour la nation, plus qu’un programme étriqué fait pour séduire la plèbe, quand bien même ce ne sont que des paroles en l’air ! Voici nos valeurs telles qu’elles ont été définies par le Rassemblement conservateur :

Archibald de La Villejégu a écrit:: Le Rassemblement conservateur fait profession de foi de la défense du régime impérial, de la morale syiste, de notre identité, de notre économie et de la grandeur de notre nation à travers l'Archipel. Nous sommes et serons toujours le premier soutien à Sa Majesté l'Empereur.

Nous refusons toute atteinte à la Constitution de l'Empire et à la personne de Sa Majesté l'Empereur, inviolable et sacrée. Dieu qui fait les empires et les octroie selon Sa volonté a décidé de nous donner un Empereur pour la plus grande gloire du Belondor. Rendons-lui grâce et obéissons à Sa Majesté en remerciement ! L'unité, l'indivisibilité et l'autorité de l'État ne peuvent être remis en cause. Le Rassemblement conservateur s'opposera à toutes les utopies qui provoquent la guerre civile.

Nous défendons la morale héritée de nos préceptes syistes, les seuls qui soient bons pour l'Empire : ordre, famille et religion. C'est avec ce triptyque que le Belondor est parvenu à être ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire la première puissance sur terre. Il existe un ordre social naturel qu'il convient de conserver à moins de ne dangereusement déstabiliser une société qui, malgré ses imperfections, a fait les preuves de ses bienfaits et de son efficacité. Le Rassemblement conservateur luttera de toutes ses forces contre ceux qui veulent remettre en cause la société sans se soucier des conséquences néfastes de tels actes.

Nous ferons preuve de sa fermeté envers tous ceux qui menaceraient de péril l'identité consubstantielle de l'Empire de Belondor, fondée sur notre foi syiste révélée, nos traditions culturelles et notre langue, qui fait du Belondor la Civilisation par excellence. Il est du devoir de tout Belondaure de refuser l'existence d'États dans l'État et de lutter contre ceux qui menacent l'unité de nos peuple et nation. Nous ne laisserons pas les ennemis de l'Empire et de la Patrie prospérer au sein de notre pays. Le Rassemblement conservateur s'engage à appuyer Sa Majesté dans sa volonté résolue de conserver l'identité et l'unité nationales.

Nous défendrons avec vigueur les principes de la liberté d'entreprendre, de la liberté du travail, de la responsabilité individuelle, ainsi que du refus de l'assistanat. Il est de notre devoir de faire un bon usage des deniers publics et de lutter contre la corruption des fonctionnaires à tous les niveaux. Tout doit être mis en œuvre pour libérer les énergies et faciliter la vie des entrepreneurs. Il est naturel pour l'Empire de favoriser ses propres entreprises et les produits nationaux vis-à-vis de l'étranger. Nous ne laisserons pas les Belondaures s'enfoncer dans la paresse et serons toujours du côté de ceux qui prônent l'effort. L'aide aux plus nécessiteux et la charité doivent être du ressort de l'Église. Le Rassemblement conservateur souhaite faire du Belondor une économie libre et moderne.

Nous pensons que l'Empire de Belondor n'est lui-même que dans la grandeur. Or, il n'est possible de l'atteindre que lorsque nous sommes libres, indépendants et souverains, disposant pleinement de toutes nos prérogatives. Le Belondor a une mission divine. Il est dans sa destinée manifeste d'être la première d'entre les nations. Nous ne laisserons aucun État dicter ses conditions et faire sa loi à l'Empire. Le Rassemblement conservateur soutiendra de toutes ses forces Sa Majesté dans sa volonté de l'Empire de Belondor la plus grande nation qui n'ait jamais existé.

Le duc fit une lecture circonspecte de la totalité du papier, l’assistance sembla conquise, mais en fait elle lui était déjà acquise pour ainsi dire… Le duc fit quelques précisions, et souhaita à tout le monde une bonne soirée, retrouvant sa femme, le banquet pu commencer. Le reste de la soirée fut animée par des discussions plus ou moins intéressantes et plus ou moins utiles, le duc fut sollicité sans cesse par toutes sortes de personnes, sur toutes sortes de sujets, apportant souvent conseils sur la manière d’interpréter la ligne directrice du Rassemblement conservateur, mais surtout dictant ce que le parti comptait faire sur des points précis.

» Une campagne compliquée
» Réunion publique à la campagne
» Scène de campagne à Veledris
» Auguste Villard en campagne
» Réunion de campagne au siège du parti