Réunion du bureau politique

Les caciques du Rassemblement conservateur – qu'on nommait plus familièrement Rasscon – avaient tous été convoqués par le marquis de Balincourt, maréchal d'Empire et Connétable de l'Empire Archibald de La Villejégu. Il s'agissait de s'entendre sur une « profession de foi » pour les élections sénatoriales qui auraient lieu sous peu. En effet, le Rasscon se refusait à définir un programme ou même une plateforme, considérant qu'il revenait à l'Empereur de prendre ces décisions. De ce point de vue, il était bien plus respectueux de l'ordre établi que les ultras du Parti impérial, mais cela n'avait rien d'étonnant en ce qu'ils étaient certainement les plus contestataires, souhaitant un retour au Premier Empire.

Réunis dans la salle de réunion du siège du Rasscon, tous les membres du bureau politique étaient présents. Le Parti impérial ayant déjà présenté son programme, idem pour l'Union des modérés (appelée Unimod), le Rasscon était en retard. Il fallait donc que cette réunion qui n'allait durer que deux petites heures soit efficiente. Le Rassemblement ne pouvait pas se laisser distancer dans cette bataille d'opinion absolument cruciale, s'il souhaitait remporter les élections, alors même qu'il savait pouvoir compter sur la sympathie d'une soixantaine de sénateurs nommés sur les 146 – dont certains, comme Archibald lui-même ou le Grand Maître de l'Empire, le duc d'Albes étaient d'ailleurs membres du Rasscon. Aujourd'hui, bien qu'il n'y avait aucun président effectif du Rasscon, il revenait au Connétable d'ouvrir la séance puisqu'il avait été à l'initiative de la convocation du bureau politique :

- Messieurs, merci d'avoir tous répondu présents à l'invitation qui vous a été faite de participer à cette réunion du bureau politique du Rassemblement. J'avais peur que la salle sot trop petite, mais elle semble capable d'accueillir 33 personnes, finalement.

Souriant, il poursuivit :

- Rentrons dans le vif du sujet si vous le voulez bien. Comme vous le savez, les élections sénatoriales auront lieu sous peu et nous n'avons pas réellement défini notre ligne. Certes, nous sommes tous d'accord pour dire que c'est à Sa Majesté qu'il revient de nous guider. Il n'empêche, pour marquer les esprit, faire adhérer les gens à nos idées, plaire, il nous faut pouvoir être identifiés clairement. Notre objectif est de parvenir à rester la première formation politique au Sénat, ce que nous pouvons être, assurément, grâce à l'appui de sénateurs nommés qui nous sont favorables et que je m'efforcerai – et vous aussi, j'en suis sûr – de convaincre de rejoindre officiellement nos rangs. Pour cela, je propose que nous édictions une profession de foi rédigée qui définira les grands principes que nous défendons sur cinq sujets : la défense du régime, la défense de la morale, la défense de notre identité, l'économie et les affaires extérieures. J'insiste sur le fait qu'il ne doit pas d'agir d'un programme politique comme en produisent le Parti impérial et l'Unimod, mais uniquement une profession de foi, sorte de charte des valeurs. Lancez-vous !

Au bout de quelques minutes de débat, la plupart des caciques du Rasscon semblaient s'accorder sur une ligne majoritaire bien ancrée sur leurs fondamentaux, sans compromission pour les ultras ou les modérés, de façon à rester majoritaires dans l'Empire. C'est ainsi que le maréchal de La Villejégu finit par proposer une version de ce que pourrait être la profession de foi du Rassemblement conservateur :

- Mes amis, je vous propose cette ébauche. A vous de me dire si elle vous convient.

Citation :

Le Rassemblement conservateur fait profession de foi de la défense du régime impérial, de la morale syiste, de notre identité, de notre économie et de la grandeur de notre nation à travers l'Archipel. Nous sommes et serons toujours le premier soutien à Sa Majesté l'Empereur.

Nous refusons toute atteinte à la Constitution de l'Empire et à la personne de Sa Majesté l'Empereur, inviolable et sacrée. Dieu qui fait les empires et les octroie selon Sa volonté a décidé de nous donner un Empereur pour la plus grande gloire du Belondor. Rendons-lui grâce et obéissons à Sa Majesté en remerciement ! L'unité, l'indivisibilité et l'autorité de l'État ne peuvent être remis en cause. Le Rassemblement conservateur s'opposera à toutes les utopies qui provoquent la guerre civile.

Nous défendons la morale héritée de nos préceptes syistes, les seuls qui soient bons pour l'Empire : ordre, famille et religion. C'est avec ce triptyque que le Belondor est parvenu à être ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire la première puissance sur terre. Il existe un ordre social naturel qu'il convient de conserver à moins de ne dangereusement déstabiliser une société qui, malgré ses imperfections, a fait les preuves de ses bienfaits et de son efficacité. Le Rassemblement conservateur luttera de toutes ses forces contre ceux qui veulent remettre en cause la société sans se soucier des conséquences néfastes de tels actes.

Nous ferons preuve de sa fermeté envers tous ceux qui menaceraient de péril l'identité consubstantielle de l'Empire de Belondor, fondée sur notre foi syiste révélée, nos traditions culturelles et notre langue, qui fait du Belondor la Civilisation par excellence. Il est du devoir de tout Belondaure de refuser l'existence d'États dans l'État et de lutter contre ceux qui menacent l'unité de nos peuple et nation. Nous ne laisserons pas les ennemis de l'Empire et de la Patrie prospérer au sein de notre pays. Le Rassemblement conservateur s'engage à appuyer Sa Majesté dans sa volonté résolue de conserver l'identité et l'unité nationales.

Nous défendrons avec vigueur les principes de la liberté d'entreprendre, de la liberté du travail, de la responsabilité individuelle, ainsi que du refus de l'assistanat. Il est de notre devoir de faire un bon usage des deniers publics et de lutter contre la corruption des fonctionnaires à tous les niveaux, laquelle provoque une bureaucratie pesante pour nos entreprises et les asphyxie. Nous ne laisserons pas les Belondaures s'enfoncer dans la paresse et serons toujours du côté de ceux qui prônent l'effort. L'aide aux plus nécessiteux et la charité doivent être du ressort de l'Église. Le Rassemblement conservateur souhaite faire du Belondor une économie libre et moderne.

Nous pensons que l'Empire de Belondor n'est lui-même que dans la grandeur. Or, il n'est possible de l'atteindre que lorsque nous sommes libres, indépendants et souverains, disposant pleinement de toutes nos prérogatives. Le Belondor a une mission divine. Il est dans sa destinée manifeste d'être la première d'entre les nations. Nous ne laisserons aucun État dicter ses conditions et faire sa loi à l'Empire. Le Rassemblement conservateur soutiendra de toutes ses forces Sa Majesté dans sa volonté de l'Empire de Belondor la plus grande nation qui n'ait jamais existé.

- Messieurs, j'attends vos avis.

Le duc d’Albes, qui avait naturellement accepté l’invitation à cette réunion de la fine lame conservatrice, avait écouté avec attention le maréchal de La Villejégu. Sa place de choix juste en face du Connétable de l’Empire avait facilité la concentration d’Armand. Il fallait bien avouer que le duc d’Albes peinait à trouver le calme en ce moment, beaucoup de sujets se nécessitaient son attention. La récente annonce de la vente des industries Nerym n’avait pas échappée à Armand, elle avait pour ainsi dire monopolisée ses pensées ces derniers jours. Mais la question n’était pas là aujourd’hui.

Armand avait l’impression que le maréchal de La Villejégu venait d’opérer une curieuse synthèse entre les idées ultras et les idées modérées. L’affaire sautait aux yeux d’Armand. Les conservateurs reprenaient le programme ultra en matière sociale, et le programme modéré en matière économique, en ne les poussant pas à bout, mais précisément en les tempérant… à se demander qui étaient les vrais modérés dans cette bataille ! Armand ne pu s’empêcher de sourire, ces « valeurs » ratissaient large, elles avaient la particularité de pouvoir plaire à un grand nombre d’électeurs, ce qui n’était franchement pas négligeable lors l’objectif était la victoire politique.

Cependant, il ne fallait pas développer ses idées pour plaire dans l’optique d’une victoire, il fallait les exposer honnêtement. Après avoir longuement regardé le marquis, il ne douta pas qu’il était un honnête homme. « Un marquis, pensez-vous ! il ne peut être qu’honnête » se dit Armand. Ayant passé une partie de sa vie, Armand ne pu qu’être navré que le marquis soit si nombriliste… les Belondaures, le Belondor, la « plus grande nation qui n’ait jamais existé », il ne fallait quand même exagéré, sans quoi les propos devenaient insignifiants. Armand aimait son pays, mais il n’aimait pas les manières « antoniniste », comme disait les royalistes, qu’il avait pris. La soif de gloire et de conquête n’intéressait pas le duc d’Albes, curieusement.

Armand regardait M. de La Villejégu, l’air livide, il prit la parole d’un coup.

— Il me semble, M. le marquis, que votre proposition est tout à fait adaptée. Elle nous permet de nous dégager des autres formations politiques. Nos adversaires ont fait, il me semble, l’erreur de proposer un programme très restreint, donnant l’impression qu’ils ne feront que ce qu’ils ont présenté. En présentant nos valeurs plutôt qu’un programme, nous garantissons au peuple que ce que nous cherchons à atteindre n’est pas un objectif chiffré et froid, comme les modérés nous le présentent, mais bien un idéal vers lequel nous tendons. Je pense que c’est très bénéfique pour notre mouvement.

Mais, je dois reconnaître que je m’interroge notamment sur ce que vous entendez par « l’asphyxie de nos entreprises », il me semble que lesdites entreprises se portent plutôt très bien, et je n’ose imaginer que vous introduisez dans votre propos une critique de l’administration impériale que je trouverais dangereuse. Que nous luttions contre la corruption des fonctionnaires, soit, mais il me semble que le terme de « bureaucratie » est trop connoté, monsieur.

Du reste, le texte me convient. Mais j’attends l’avis avisé de nos collègues estimés. Armand se réinstalla sur son fauteuil, attendant la réponse du maréchal.

Les deux derniers intervenants n'étaient pas des moindres. Armand de La Croix, duc d'Albes et de Salignac était Grand Maître de l'Empire, représentant l'aile gauche du Rassemblement, tandis que Beren Vanès était un grand capitaliste, possédant un des plus grands fleurons de l'industrie belondaure avec Vanès Industries, et plutôt adepte de la fermeté contre les révolutionnaires... Les écoutant, le Connétable de l'Empire tenta de prendre compte de leurs avis :

- Comme l'a dit Monsieur Vanès, il y a nombre de tracasseries qui sont provoquées par cette bureaucratie. Néanmoins, il semble en effet difficile de la critiquer trop ouvertement sans passer pour émettre un jugement négatif envers la politique de Sa Majesté. Je propose donc cette formulation, si vous êtes d'accord : « Il est de notre devoir de faire un bon usage des deniers publics et de lutter contre la corruption des fonctionnaires à tous les niveaux. Tout doit être mis en œuvre pour libérer les énergies et faciliter la vie des entrepreneurs. Il est naturel pour l'Empire de favoriser ses propres entreprises et les produits nationaux vis-à-vis de l'étranger. » Ainsi, nous en profitons pour rappeler au détour d'une phrase que nous défendrons le protectionnisme. Qu'en dîtes-vous ?

Plus personne ne disait rien. La profession de foi semblait convenir à tous. Le Connétable, sourit, et dit donc :

- Parfait, la profession de foi est validée.

Le Rasscon avait une ligne directrice pour la campagne, désormais.

Le Connétable de l'Empire n'en croyait pas ses oreilles. Il avait vaguement entendu parler des tentatives du directeur général de Vanès Industries pour réussir à faire voler ce qu'il appelait des « aérostats », en tant qu'autorité de tutelle sur la Guerre – car cela, paraît-il pouvait servir aux armées. Mais il ne pensait qu'il en était au point où cela était possible. Il lui répondit :

- Magnifique, monsieur Vanès ! Quand pensez-vous pouvoir faire cela ? Ce serait magnifique si cela arrivait avant les élections... nous pourrions montrer ainsi que le conservatisme ne rime pas avec immobilisme et qu'il est compatible avec le modernisme.

Tapotant l'épaule du Sieur Vanès, le Connétable croyait toujours dans les chances du Rasscon.