Cette fin de matinée elbêröhnitienne allait, à première vue, se terminer comme toutes les autres depuis que la paix avait été rétablie dans la sulfureuse capitale.
Les échoppes et kiosques saupoudrés sur la longueur des trottoirs présentaient des rayons presque entièrement vidés par le passage continu des clients apparus dès potron-minet, des clients qui n’étaient en réalité que les envoyés de demeures bourgeoises avec pour mission de rapporter vivres et affaires de première nécessité aux celliers de leurs maîtres impatients.
Le midi approchant, certains détaillants passaient déjà quelques coups de balais et rabattaient les battants de leur commerce sur roues.
Pourtant, à quelques lieux de là, des individus d’une toute autre espèce s’agitaient curieusement aux portes du grand édifice de la bourse.
Sobrement vêtus des complets à la mode, hommes d’affaires, négociateurs, et intermédiaires arrivant précipitamment à pied ou en fiacre se pressaient sur les marches du bâtiment, tentant désespérément d’y rentrer.
A l’intérieur, des hommes de tout âge et responsabilité agitaient frénétiquement des liasses de papiers dans les airs en criant leurs offres d’achats ou de ventes.
Sur des échelles, debout à côté de grands tableaux noirs , les employés de la bourse tentaient de leur mieux de suivre les nouveaux prix, effaçant et réécrivant à la craie les valeurs des actions à une vitesse presque surréelle.
Une colonne parsemée de chiffres blancs attirait tout particulièrement l’attention des actionnaires, se bousculant sans vergogne, s’écrasant même à moitié, pour être sûrs d’être entendu dans leurs offres : celle des Industries Nerym.
Bientôt, plusieurs reporters arrivèrent eux aussi devant la bourse, l’agitation anormale ayant été ébruitée aux quatre coins de la ville.
Deux omnibus de la police tirés par de puissants percherons suivirent peu après, déversant une ribambelle d’agents prêts à calmer la tension palpable à coups de matraques.
-" Que se passe-t-il ? " demanda un cocher en apercevant quelque personnages surexcités tenter de se frayer un passage dans la foule.
-" Une rumeur a filé il y a environ une heure, je dirais, comme quoi les Industries Nerym seraient bientôt en vente. " lui répondit un autre au sourire amusé.
-" Tiens donc, le patron disait l’autre jour qu’elles se portaient bien. "
-" Et comment ! Elles ont le monopole du pétrole et de ce genre de chose. "
Ils furent interrompus par les coups de sifflet stridents de la police qui entama la dispersion de la foule.
Elle ordonna la fermeture de la bourse, de fait en avance de quinze minutes, au grand dam des gens présents.
Au total, les actions des Industries Nerym venaient de perdre 11 % de leur valeur tandis que l’effet domino entraina une baisse de 9 % de la bourse en une seule séance.
Ce fut la plus grande chute boursière au Belondor depuis la Guerre de Sécession.
La nouvelle créa des remous dans la capitale et apparut en première page des journaux.
Les Industries Nerym, véritable pieuvre corporative, devaient désormais impérativement se prononcer publiquement sur la question et rassurer le monde des affaires.