Retour aux affaires après le Grand Hiver

C'était la première fois depuis bientôt un an que l'Archichancelier de l'Empire n'était pas revenu au Palais Ceronine II. Au bénéfice d'un automne clément, il était rentré à Varsalance après le vote au Sénat de la Loi de finances pour l'année 2716. Depuis, il s'était retrouvé bloqué en Ardanie par des vents violents chargés de l'humidité du grand nord ; il n'avait pas fallu bien longtemps pour que la côte ouest de l'île soit menacée par des pluies diluviennes dignes des grands ouragans alors même que tout le côté oriental de l'île bénéficiait au contraire d'un temps clément. Entre les deux, les Mont Blanchâtres n'avaient jamais été aussi immaculés qu'alors. Saleça et ses 558 000 habitants, au dernier recensement de 2714, fut presque entièrement sous la neige pendant six mois. Il n'avait plus fallu qu'une terrible crue s'ensuive pour arracher les ponts qui osaient encore défier les éléments.

Si la traversée entre Varsalance et Ecosient se passa dans les meilleures conditions, le trajet jusqu'à Elbêröhnit ne fut pas de tout repos pour l'Archichancelier. En raison des lignes ferroviaires et fluviales coupées sinon débordantes, décision fut prise de rallier la capitale en limousine ; le voyage dura le double du temps normal. A de multiples reprises il fallu changer d'itinéraire, soit car des éboulis obstruaient le pavement soit car la route était inondée soit, bien pire encore, car la route avait été emportée par les eaux. L'Archichancelier dut descendre de voiture à plusieurs reprises pour que l'attelage puisse passer au-dessus de coulées de boue ou de murets en pierre effondrés au milieu des voies.
A Elbêröhnit, il fit arrêter la voiture sur l'Île de l'Horloge. Face à lui, la Grulée filait à un rythme d'enfer, emportant avec elle tout ce qui n'avait su résister à son passage. Son cocher en livrée lui indiqua que cela faisait bientôt une semaine que le courant était aussi fort et que la décrue n'était pas attendue avant plusieurs jours, tandis que de nombreuses berges souffraient de ce déferlement terrible.

Dès lors arrivé dans l'Aile Bordebon, Etzel se sentit subitement soulagé : son périple venait de prendre fin. Pourtant, la masse de documents entreposée dans son bureau avait de quoi lui donner le tournis. A travers tout l'Empire des estafettes courraient de village en village et rapportaient des renseignements qui devaient servir à faire le bilan du Grand Hiver. Le véritable retour aux affaires était donc pour maintenant.