L'arrivée du Roi d'Aldarnor

Sa Majesté le Roi a écrit:: Le roi avait en tête le départ du corps expéditionnaire vers la Laurasie, mais il ne laissait rien transparaître, quand bien même l’Aldarnor était en guerre, il n’avait rien voulu changer à ses projets, il l’avait dit. C’était par une belle matinée de Lotessië que le roi, son fils le victorin, sa sœur la duchesse de Minastan, et plusieurs courtisans de haute naissance embarquèrent à bord de l’Autricum dans le port de Mont-du-Pastel, et non de Guéméné (le roi voulait ainsi améliorer l’image de ce port, tout récemment aménagé). Premier navire de la marine royale, véritable fleuron, ce bâtiment de guerre comportait pas moins de 180 canons, de différents calibres. Il avait trois ponts, et mesurait 80 mètres de longueur pour une capacité de 2500 tonneaux. Le seul point noir était peut-être la vitesse : au maximum 9 nœuds.

Le navire était un monument flottant dédié à la gloire de l’Aldarnor et de sa marine. Il y avait très peu de navires de cette classe, car, il fallait être lucide, il était démesuré à tout point de vue, et la facture de l’entretien de l’engin faisait rager le ministre du Trésor. Vincent II avait tenu à ce qu’un tel navire soit construit, c’était une prouesse. Et après tout, il allait marier sa sœur et son fils, l’héritier du trône, ce n’était pas un évènement mineur.

Le bateau était chargé de présents, et d’œuvres d’art que le roi avait notamment racheté aux Bordebon à prix fort, pour pouvoir les restituer, de façon dissimulée, au Belondor. Lors des révolutions belondaures les révolutionnaires avaient aveuglément vendu les collections royales, le roi Vincent Ier avait été le principal bénéficiaire de ses ventes, puisqu’il avait acquis au total environ 78 % des lots les plus significatifs (œuvres d’art, mobilier, habits, bijoux, etc. …). Le roi Vincent Ier avait alors jugé bon d’en restituer une partie aux Bordebon. Voilà comment les trésors des rois de Belondor étaient retournés aux Bordebon exilés, car bien entendu, ils n’avaient pas eu le temps de s’enfuir avec les tableaux en pleine révolution ! Vincent II était persuadé que le geste allait toucher l’empereur. A contre cœur, le roi d’Aldarnor avait aussi inclus le secrétaire à cylindre de Grenel III.

Bref, passé ces considérations, le roi avait laissé la « régence » à sa femme, la reine. A leur retour, le mariage du victorin serait célébré officiellement en Aldarnor. Ils voguaient maintenant vers le Belondor.

Le Connétable et Architrésorier de l'Empire Charles Marksane avait été envoyé, en compagnie du Grand Maître de l'Empire Armand de La Croix de Salignac pour accueillir Sa Majesté apostolique Vincent II d'Aldarnor, lequel devait arriver ce jour du 5 Ceronine 2715 – le 5^e de Lotessië de 1813 suivant le calendrier aldarnorin – en vue du port d'Ecosient, lieu où il était prévu qu'il accostât. Tout avait été organisé de la part du ministère de la Police générale, en lien avec le ministère des Affaires administratives, sous la tutelle de l'Archichancelier et Grand Électeur de l'Empire, afin d'empêcher toute manifestation d'hostilité à l'égard du souverain aldarnorin.

En effet, l'Aldarnor avait longtemps été ce que l'on pourrait appeler un « ennemi héréditaire » pour l'Empire de Belondor, s'opposant à la Grande Révolution puis à l'empire des Temararien, et prenant systématiquement le parti des Bordebon, finançant les campagnes des anciens États germains contre le Premier Empire. Pourtant, les choses avaient fini par évoluer un peu. Tout d'abord, c'est en Aldarnor que la famille impériale avait trouvé à s'exiler lorsque le Premier Empire avait chuté suite à une trahison en plein champ de bataille. Certes, la famille des Temararien avait été placée sous surveillance par le Roi Louis XIV, mais celle-ci était restée relativement lâche, à tel point que rien n'avait pu être effectué pour empêcher le futur Nabelnine I^er de quitter l'Aldarnor pour le Belondor d'où il put fomenter le complot qui donna naissance à la « Révolution impériale ».

Depuis, notamment avec la montée sur le trône de Nabelnine II en Belondor et de Vincent II en Aldarnor, les deux pays n'avaient cessé de se rapprocher, bien qu'un tel retournement de politique était déjà palpable avec les précédents souverains. Aujourd'hui, les deux nations étaient devenues alliées, peut-être même amies. En effet, elles allaient s'unir doublement par les liens du mariage, un mariage proprement unique entre les couronnes de Temararien et d'Autricum. Une double union symbolique puisque ce serait la première fois que des Temararien épousaient des membres d'une dynastie étrangère. De plus, alors que la Triple-Alliance allaient très certainement devenir la Quadruple-Alliance, les deux pays feraient partie du même système d'alliance. Que d'évolutions en quelques années, donc !

Lorsque l'Autricum, le splendide bâtiment qui avait amené la famille royale d'Aldarnor jusqu'en Belondor, accosta, c'est tout naturellement le Connétable et Architrésorier de l'Empire qui accueillit le Roi et les mêmes de sa famille qui avaient vogué avec lui. S'inclinant légèrement lorsque ceux-ci se présentèrent face à lui, le bras gauche contre son abdomen, le droit contre son dos, il s'adressa à Vincent II :

- Bienvenue en Belondor, Votre Majesté. Je me présente : son Excellence Charles Marksane, Connétable et Architrésorier de l'Empire, serviteur de Sa Majesté Très-Syiste. Présentant le duc d'Albes à ses côtés. Et voici son Excellence Armand de La Croix de Salignac, Grand Maître de l'Empire, chargé d'organiser ce que vous savez... Laissez-moi vous dire Votre Majesté que c'est avec un immense bonheur que l'Empire de Belondor vous accueille en ces terres. Votre présence ici est symbolique et Sa Majesté impériale se fait une joie de pouvoir vous accueillir au palais impérial Ceronine II d'Elbêröhnit.

Le voyage avait été agréable, même si le roi n’osait trop l’avouer, il était un peu anxieux lui aussi à l’idée de voyager, il était le premier souverain aldarnorin à prendre le bateau pour quitter le continent agénorien. Ce qui pour beaucoup pouvait paraître une formalité à l’heure où tout bougeait de plus en plus rapidement, était en vérité une petite révolution en Aldarnor. Jamais la cour d’Aldarnor n’avait voyagé par les voies marines, et du coup, il n’y avait aucune règle bien établie en matière de protocole. Le roi avait donc fait un peu ce qu’il voulait, chose éminemment rare.

Enfin, il allait réaliser un rêve d’enfant : voir Elbêröhnit. On lui avait tellement parlé de cette ville immense. Les gens qui avaient vu cette ville la décrivaient tantôt comme un monstre qui dévore tout, tantôt comme un phare qui commande au monde ce qu’est la beauté. Le raffinement aldarnorin n’était pas une légende : le Palais-Sacré de Rouvray était le fruit de l’histoire de la monarchie aldarnorine, c’était une véritable cité dans la ville. Le roi voulait donc voir si le Belondor méritait sa place dans le monde.

Vincent II allait cependant devoir patienter encore un petit peu, car il n’était pas arrivé à Elbêröhnit, du moins, pas tout à fait, car il espérait que le voyage en aérostat serait rapide ! Il ne voulait pas trainer dans les campagnes belondaures, car il savait parfaitement ce que le Belondaure moyen pensait des souverains aldarnorins, et il n’était pas d’humeur à se frotter à la rudesse des nordiques !

Le tapis rouge fut déroulé, comme à l’usage le voulait, et c’est très symboliquement que rejoignit son homologue belondaure pour arriver aux pieds des grands-dignitaires belondaures. Les gardes avaroises, qui suivaient le roi partout où il allait lorsqu’il était en dehors du Palais-Sacré, élite de la Garde royale d’Aldarnor, s’alignèrent de chaque côté du tapis pour former la haie d’honneur. Le tableau était très cérémonieux. Le capitaine de la Garde royale, s’écria militairement :

― Avarois, présentez armes !

Le roi sortit du bateau, le victorin à sa suite, et la duchesse de Minastan pas loin derrière. Les invités du roi suivaient de près. Vêtu simplement de l’uniforme de colonel général des carabiniers, le roi s’avança jusqu’à Charles Marksane et reçu chaleureusement son inclinaison de torse en lui rendant un léger signe de la tête.

― Bonjour Excellence, se tournant vers le duc d’Albes qu’il connaissait bien, il le salua d’un regard : M. le duc. C’est aussi avec une joie non dissimulée que je me tiens ici en ce jour que l’on peut qualifier d’historique : je suis le premier roi d’Aldarnor à fouler le sol belondaure sans y apporter la guerre ; et j’espère bien ne pas être le dernier. Se tournant vers la populace qui avait dû être triée sur le volet : oui, que ce jour reste dans les mémoires de chacun comme le commencement d’une nouvelle ère entre l’Aldarnor et le Belondor : une ère de paix et de prospérité, dans laquelle chacun pourra se rassurer de trouver en l’autre un ami sincère.

J’ai grand hâte, Excellence, de rencontrer votre maître. J’espère que Sa Majesté très-syiste se porte bien. Je vous présente mon fils, le victorin d’Aldarnor. Le jeune homme toisa le ministre belondaure, et rapidement le roi présenta sa sœur : et voici ma sœur, la duchesse de Minastan. Monsieur de Salignac trouvera en M. le prince de Vitry son homologue aldarnorin. Le roi, faisant un grand honneur au grand-maître d’Aldarnor, le présenta à l’assistance.

Le Connétable de l'Empire était satisfait du travail effectué par les ministères des Affaires administratives et de la Police générale. Il n'y avait aucune manifestation d'hostilité, et, au contraire, les badauds présents n'hésitaient pas à acclamer le souverain de l'autre nation syiste de l'Archipel. Il aurait été fort malheureux que quelques olibrius incapables de faire fi de leurs rancœurs passéistes jettent un froid entre les deux pays en lançant quelques paroles ou slogans de nature à raviver les vieilles querelles. Il était également charmé par le roi d'Aldarnor, personnage très raffiné. Charles Marksane salua comme il se devait les membres de sa famille et le grand-maître d'Aldarnor que le roi Vincent II daignait lui présenter. Cependant, il s'adressa de nouveau à Sa Majesté apostolique pour lui parler de la suite des évènements :

- Votre Majesté apostolique. Suivant vos souhaits, un aérostat, l'aérostat personnel de Sa Majesté Très-Syiste, vous attend, sur la place de l'Empire d'Ecosient. C'est à moins d'une dizaine de minutes en voiture du port. Nous y serons très rapidement.

Il fit un signe d'ouverture de la main pour indiquer au roi d'Aldarnor qu'il pouvait avancer en direction de la dizaine de voitures hippomobiles spécialement affrétées pour l'occasion, chacune arborant deux fanions, un les armoiries du Roi d'Aldarnor, l'autre celles de l'Empereur de Belondor. Sur le trajet, le roi eut l'opportunité de voir que les rues avaient été pavoisées aux couleurs des deux pays, des drapeaux de l'Aldardor et du Belondor étant accrochés aux fenêtres, balcons et lampadaires. De plus, certainement à sa grande surprise, lui qui s'attendait à un accueil glacial de la part des Belondaures, des milliers de personnes étaient présentes de part et d'autre de barrières gardées par des militaires pour honorer la venue d'un souverain d'Aldarnor sur le sol de Belondor pour la première fois depuis ce que les Belondaures appelaient la « Guerre de Cent Ans », à savoir la sécession entre les Belons et les Aldars. C'était, à n'en pas douter, un moment historique. Et ce n'était rien en comparaison de ce qui attendaient les Autricum à Elbêröhnit... mais il n'était pas question de leur parler pour l'instant.

Arrivés sur la place de l'Empire, qui faisait face à la mairie, ils purent apercevoir un immense tissus de quinze mètres sur neuf composé des couleurs de l'Aldarnor et du Belondor. Au milieu était l'aérostat de l'Empereur, gardé par quelques cuirassiers de la XIV^e légion, stationnée à Ecosient depuis plus d'un mois. Tout autour, il y avait un nombreux public qu'il fallait réussir à tenir en respect tant l'enthousiasme pouvait être grand. Vraisemblablement, les Belondaures – pas tous, certes, mais une majorité, assurément – souhaitaient oublier les vieilles rivalités d'autrefois pour se tourner avec confiance vers un avenir fondé sur l'amitié aldarnaro-belondaure.

Descendants de leurs voitures, tous entrèrent alors dans l'aérostat de l'Empereur. Les voyages par ce moyen de locomotion étaient très rares en Belondor eu égard au coût d'un tel voyage et surtout d'acquisition d'un aérostat. Seules des familles très riches pouvaient ainsi se permettre d'en acheter un. Celui de l'Empereur était en fait issu du modèle du premier aérostat élaboré par la Compagnie Vanès-Nerym Industries (CONVI), mais modifié tant en taille qu'en vitesse, ayant en conséquence était acheté bien plus cher que n'importe quelle voiture classique... à peu près 50 000 sesterces : une somme énorme ! C'est ainsi que Nabelnine II avait possédé le premier aérostat qui, mû par une machine à vapeur placée dans la nacelle, put subir quelques modifications de direction par rapport au vent. C'était un dirigeable de 44 mètres de long en forme de cigare et équipé d'un moteur à vapeur développant trois chevaux, et actionnant une hélice placée sous le ventre de l'engin. L'aérostat atteignait la vitesse de 10 km/h mais pouvait difficilement remonter un vent soutenu malgré ses capacités incontestables de « dirigeabilité ». Néanmoins, l'action du gouvernail se faisait parfaitement sentir et à peine avait-on tiré légèrement une des deux cordes de manœuvre qu'un changement de direction était possible. Heureusement pour eux, le vent soufflait du sud vers le nord d'Ecosient jusqu'à Elbêröhnit, ordinairement. En l'espèce, c'était le cas aujourd'hui, et c'est ce qui comptait. On pouvait donc espérer qu'il irait jusqu'à 30 km/h.

C'est ainsi qu'une heure à peine après leur arrivée en Belondor, les membres de la délégation arladarnorine décollèrent en direction d'Elbêröhnit.

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