Conférence de presse de Beronine Belreveger

Beronine Belreveger avait averti le premier un proche du Connétable de l'Empire, Augustus Cael, du fait que l'Union des modérés avait récompensé quelqu'un se mettant en dehors de la loi en lui offrant la possibilité de concourir sous ses couleurs. On lui avait alors dit d'avertir la presse locale du fait et d'en profiter pour ainsi démontrer que le discours des conservateurs assimilant les modérés aux socialistes, aux libéraux, aux républicains, tout ceux qui haïssaient l'Empire et l'avaient toujours combattu, parfois même par les armes, comme lors de la Guerre de Sécession, était vrai.

C'est la raison pour laquelle, en cet Amezziadine 5 Sevan 2715, Beronine Belreveger avait convoqué une conférence de presse pour en parler, après avoir annoncé avoir des révélations à faire dans un cout communiqué de presse, la veille, et qui avait déjà fait du bruit. Il était quatorze heures, l'heure du début de la conférence. Tout le gratin journalistique local était là, aussi bien les correspondants des journaux nationaux qui rapporteraient peut-être la nouvelle à Elbêröhnit et dans les grandes villes de l'Empire, que les envoyés des feuilles de choux régionales. Une bonne vingtaine de journalistes était donc face à lui. Son moment de gloire...

Il était quatorze heures et une minute, désormais. Les journalistes parlaient entre eux de la campagne, surexcités qu'ils étaient à l'idée d'avoir une nouvelle qui ferait l'effet d'une bombe et à l'idée de voir les modérés être pour la première fois majoritaires au Sénat. En effet, c'était un secret de polichinelle que, hormis quelques journaux comme Le Dégel, l'immense majorité des journalistes penchait à gauche, voire très à gauche et, en conséquence, étaient fervents supporteurs de l'Unimod. C'est pourquoi la campagne semblait si difficile pour les conservateurs, et surtout le Parti impérial qui se retrouvait véritablement laminé. Les conservateurs étaient en effet inquiets et redoutaient de n'être plus que la seconde formation au Sénat, face à une véritable lame de fond en faveur des modérés. Dans une préfecture comme celle de Veledris, où les ultras et les conservateurs étaient largement majoritaires traditionnellement, cela se ressentait... S'éclaircissant la voix, Beronine Belreveger commença à parler :

- Merci, messieurs, d'avoir répondu présents à mon invitation. Je...

Un journaliste le coupa :

- Quelle est donc cette révélation si importante ?

Quelque peu agacé par l'impolitesse toute journalistique de son interlocuteur, Beronine Belreveger s'efforça de rester de marbre et se contenta de lui répondre :

- Plus vite vous me laisserez finir, plus vite vous le saurez.

Le silence et, l'espérait-il tout du moins, le respect obtenus, il poursuivit :

- Je vous disais, donc. Je me suis engagé à 44 ans au service de ma patrie aux côtés du Rassemblement conservateur parce que j'estime que cette formation politique est la seule à être totalement loyale et fidèle à Sa Majesté l'Empereur et à avoir pris conscience des enjeux auxquels nous sommes confrontés. On nous sert depuis quelques mois une sérénade selon laquelle nous pourrions enfin baisser la garde, relâcher notre attention, diminuer nos forces armées, délaisser la modernisation de notre marine, baisser les crédits militaires. Rien n'est moins faux. Les ennemis extérieurs pullulent. Les ennemis intérieurs, aussi, d'ailleurs, et ils ne se cachent même plus. Nous avons à faire face à des menaces et face à celles-ci, seule la fermeté peut être la réponse adéquate. Il est aussi de notre responsabilité d'être vigilants dans une telle situation et donc de dénoncer ceux qui attenteraient à nos valeurs, à notre identité, à notre unité, à l'Empire et à Sa Majesté. Vous vous demandez pourquoi je vous dis cela, je parie ? Eh bien ! Savez-vous qui l'Union des modérés a-t-elle choisi d'investir comme candidat pour ces élections sénatoriales dans notre belle préfecture de Veledris ? Auguste Villard ! Ah ! Ce nom ne vous dit rien ? Pourtant, il s'agit d'un agitateur socialiste, républicain, merksiste-luniste, et, de surcroît, un criminel, car il appelle à la grève, à la manifestation sans respecter les lois... et, surtout, il se revendique syndicaliste !

En effet, la nouvelle avait fait l'effet d'une bombe et Beronine Belreveger n'était pas mécontent de lui lorsqu'il voyait les réactions de surprise des journalistes. Un de ceux-ci leva rapidement la main afin de demander la parole, posant ainsi sa question :

- Giron Delle, pour Le Journal de Veledris. Êtes-vous en mesure de prouver vos dires ? Ces accusations sont très graves, car le syndicalisme est interdit en Belondor.

Souriant, Beronine Belreveger répondit de sa voix la plus suave possible :

- Oh que oui, monsieur Delle ! Monsieur Villard est à l'origine de la grève qui sévit dans les mines de charbon des faubourgs Veledris depuis plus d'une semaine. Il a appelé les ouvriers à cesser le travail immédiatement après un malheureux accident, j'en conviens... Mais quoi ? Les lois sont-elles faites pour être bafouées ? Chacun sait qu'il faut déclarer toute grève en préfecture, attendre que celle-ci délivre l'autorisation et que la grève ne pourra devenir effective que 48 heures après. Or, s'il a bien déclaré sa grève en préfecture, celle-ci avait déjà débuté depuis plusieurs heures et fut donc déclenchée illégalement. De plus, les ouvriers ont manifesté dans les rues de Veledris, empêchant toute circulation, le jour de cette déclaration. Quiconque ne sait pas que les manifestations ne sont pas légales dans notre pays ? A-t-on oublié les leçons de la Fronde d'Elbêröhnit, lesquelles avaient débuté par une manifestation non réprimée ? J'ajouterai qu'il a appelé les mineurs à se syndiquer, à se coaliser, ce qui est une nouvelle fois illégal. Comment peut-on investir quelqu'un qui appelle ses concitoyens à se mettre dans la clandestinité, l'illégalité ? C'est contraire à l'esprit civique, patriote et aux lois divines. Notons qu'il a par ailleurs menacé la direction et les cadres de l'entreprise d'attenter à leur intégrité physique, voire même de les tuer... cet homme est un pousse au crime, un criminel, un séditieux ! Et c'est donc ça qu'a investi l'Union des modérés ? Ce même personnage appelle à un changement radical, tient des propos de campagne à connotation révolutionnaire ! Comment les modérés peuvent-ils après nous faire croire qu'ils ne sont pas socialistes ? Tout ce que je vous rapport est vrai, il est consigné dans le rapport de police !

Un nouveau journaliste leva la main et s'empara de la parole :

- Hubert Molirail, pour Les Échos du Dolosas. Comment avez-vous su tout cela ? Quels sont vos informateurs
- Oh, monsieur Molirail, répondit Beronine Belreveger. Croyez-vous vraiment que je vais vous le dire ? Vous qui avez en religion le secret des sources ? Allons donc... un sincère impérialiste, un véritable patriote est simplement venu nous apporter ces éléments. Je l'en remercie encore.
- Julien Tiruion, pour La Gazette de l'Ouest. Pourquoi monsieur le préfet Verrines d'Hersant n'a-t-il pas invalidé cette candidature, alors, si cet homme s'est rendu coupable de tels délits ?
- Bonne question, monsieur Tiruion, nous nous le demandons également. Nous espérons que d'ici peu monsieur le préfet Verrines d'Hersant prendra des mesures pour invalider la candidature de monsieur Villard. Sinon, il faudra alors se poser certaines questions...

La campagne sentait de plus en plus le souffre dans la préfecture de Veledris...