Le prêtre Lucius Boliune est candidat

Sur la place de l'Empire de Marceinne, l'ambiance était véritablement bon enfant. Assez paradoxalement, sachant que la population était moins nombreuse dans le nord, c'était ici que le Rassemblement avait décidé de prolonger ses efforts par d'immenses réunions, de façon à mobiliser les troupes et faire des démonstrations de force contre les modérés, leur principal adversaire. Les Marceinniens étaient venus en famille, pour profiter du pain et des saucisses distribuées par les organisateurs. Un bon moyen d'achalander les potentiels électeurs...

Au début ne discoururent que les orateurs mineurs, mais après quelques minutes, vinrent enfin la têtes d'affiche des candidatures de la circonscription. En effet, une vingtaine de postes étaient à pourvoir et, comme le définissait le système électoral belondaure, il n'y avait pas de compétition entre quelques personnes sur une circonscription réduite. Oui, la circonscription était la préfecture entière et seraient élus la vingtaine de candidats qui auraient eu le plus de voix, sachant que les électeurs avaient autant de voix que de postes à pourvoir dans la circonscription. Ce n'était ni un système majoritaire uninominal, ni un système proportionnel... les gens qui avaient conseiller l'Empereur Nabelnine I^er dans la définition du système électoral avaient été imaginatifs.

Finalement, arriva le dernier orateur. Le choix de celui-ci avait été l'objet d'une stratégie réfléchie à la direction de campagne du Rasscon. Il était hors de question de faire venir un simple bourgeois ou un membre de l'appareil. Non, il fallait quelqu'un qui put plaire à l'ensemble de la populace venu aujourd'hui. C'est pourquoi on avait désigné un prêtre... Lucius Boliune, d'origine eslagnaise. Mais peu importait. L'immense majorité des gens venus parlait le belondaure couramment. Il faut dire qu'ils n'avaient pas le choix étant donné la volonté assimilatrice de l'Empereur.

Quand l'orateur monta les marches et arriva à la tribune, une clameur enthousiaste se fit entendre. En effet, ce jeune prêtre s'était fait connaître par ses prêches enflammés lors des messes qu'il tenait à Minelit, dont il était originaire. On lui promettait d'ailleurs un jour d'être archiprêtre... voir le future Grand Pontife. En attendant, il n'était que candidat au Sénat. Le peuple connaissait l'homme qui allait parler, et le considérait comme l'un des siens, à coup sûr. Ce choix ne devait rien au hasard car, en effet, nombreux étaient ceux parmi le bas-peuple, y compris parmi les prolétaires qui le considéraient avec une sorte de vénération. Il avait la parole franche, il plaisait. D'ailleurs, c'était avant tout pour les valeurs d'ordre, de morale et de famille qu'il avait rejoint le Rasscon.

Derrière le pupitre muni d'un porte-voix, il fit un mouvement de main énergique. Obtenant ainsi le silence, il l'obtint assez rapidement. Sa voix, gouailleuse et puissante, captait l'attention du peuple :

- Que vous dire ? J'en suis sûr, certains pensent que j'ai été acheté et que je viens leur raconter des boniments. Vous avez tellement entendu de bonimenteurs, n'est-ce pas. Tiens ! Toi, par exemple, dit-il en pointant du doigt un grand dadais au milieu de la foule. Tu crois que je suis venu pour vous bonimenter ? Pour te faire cracher au bassinet ? Que non !

Tous l'écoutaient :

- Vois-tu, contrairement à certains messieurs qui s'habillent comme des étudiants en littérature pour exciter la pitié, le Rassemblement conservateur n'en veut pas à ton argent. Au contraire ! Il se bat pour que tu le gardes ! Tous ceux qui vous affirment se battre pour vous vous mentent, et vous le savez. Ils n'en veulent qu'à votre argent, votre famille, vos valeurs... et bientôt, vous ne vous retrouverez sans rien. Y-a-t-il plus grande dictature que celle où l'homme est réduit à quémander à l'État ? Non ! Si nous laissons l'État faire tout à notre place, il sera légitime pour tout exiger de nous, nous soumettre et, à la fin, nous forcer à renoncer à nos traditions. Or, cette route de la servitude, il nous faut la refuser. Préférons la liberté !

Tous étaient pendus à ses lèvres. Son discours était simple mais marquait. Continuant, il conclut :

- La vérité, c'est que les modérés, ces fils de rouge – parce que ce sont des socialistes ! Ils ne veulent pas que vous vous en sortiez ! Ils provoquent votre misère et disent ensuite que c'est la faute de l'Empereur et qu'il faut donc voter pour eux. Ce sont des républicains ! Ne les croyez pas ! L'Empereur sait ce qu'il y a de meilleur pour nous. La dignité pour les familles, pour l'Église et l'Empire voilà le programme du Rassemblement conservateur. C'est pour cela que j'ai accepté d'être leur candidat. Croyez-vous que c'est en imposant les entreprises qu'on réussira à créer du travail ? Que non ! C'est tout l'inverse. Le Rassemblement conservateur vous promet le respect des traditions, de l'Église, de vos valeurs, de Sa Majesté et une vide décente avec un travail pour tous !
Ensemble, tout nous est possible parce que nous serons soudés comme si nous n'étions qu'un derrière Sa Majesté l'Empereur ! Vive l'Empire et, par dessus tout, vive l'Empereur !

La foule applaudissait à tout rompre alors que l'orateur Boliune descendait de l'estrade sous les tonnerres de félicitations. Par la suite, la foule s'empressa autour des guichets où l'on distribua des portions de saucisses avec des pommes de terres, avec des tracts et des bulletins de vote.